Assurer la sécurité de votre école en nature en période de chasse. C’est une nécessité, mais pas une sinécure! Etre pour ou contre l’acte de tuer un animal est affaire de conscience personnelle. Et cela ne fait pas l’objet de cet article. Ce qui, par contre, fait l’objet de cet article, est la manière de se protéger des éventuelles balles perdues tirées par les chasseurs. J’adresse principalement cet article aux personnes qui, comme moi, sont concernées par l’éducation des enfants en nature. Mais cela intéressera évidemment toute personne en recherche d’un point clair et précis sur les réglementations autour de la chasse.

Protéger son école en période de chasse

Le très large flou juridique entretenu sur la question de la chasse et une jurisprudence permissive en faveur des sociétés et associations de chasse font que, dans les faits, les chasseurs peuvent, en zone rurale, chasser presque où ils le veulent, y compris sur votre propriété privée. Donc, tant qu’on y est, allons-y, sur votre lieu éducatif en nature. De très nombreuses exceptions, contre-sens et implicites règnent dans l’univers des « protecteurs de la nature » et « autres premiers écologistes de France ». Mais non, ce n’est pas de vous qu’il s’agit, mais des chasseurs 😉

Habitant en pleine forêt de Sologne, je suis confrontée à ce qui constitue une nuisance quotidienne pour de nombreux ruraux non-chasseurs : la chasse. Tout le temps, partout, par tous les temps (vous allez voir plus loin que je n’exagère pas). Je me suis donc attelée au décryptage des règlementations complexes qui régissent la chasse en France. Pour que vous ayez un aperçu de vos droits (mais surtout de vos devoirs!) vis-à-vis des chasseurs. Et pour que vous puissiez agir en conséquence…

En effet, si vous imaginez que, dès lors que vous faites école dehors sur un terrain communal situé à 10mn à pied de votre école ou que vous officiez sur votre terrain privé, vous n’êtes pas concerné par des tirs à balle intempestifs, vous n’êtes pas au bout de vos surprises…

Plongeons donc ensemble dans le monde merveilleux de Bambi (et surtout de Pan Pan!)

Comment protéger votre école-forêt pendant la chasse ?

(Théoriquement) interdit à la chasse sur…

« Nul n’a la faculté de chasser sur la propriété d’autrui sans le consentement du propriétaire ou de ses ayants droit ». C’est l’article L422-1 du Code de l’Environnement qui le stipule.

Théoriquement, oui. Concrètement, les deux seuls lieux interdits à la chasse sont:

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– Les chemins ouverts à la circulation publique

« Lorsque la voie est publique (route communale, départementale ou nationale, chemin ouvert à la circulation publique, voies ferrées ou emprises, enclos et dépendances des chemins de fer) la chasse est proscrite du fait de l’interdiction absolue d’utiliser des armes à feu sur ou en direction de ces axes de circulation » (selon l’ONCFS, Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage, intégré récemment au sein de l’Office Nationale de la Biodiversité (sic!).

– Votre propriété privée dès lors que vous en faites la demande

Comprenez bien la nuance: par défaut, les chasseurs peuvent venir chasser sur votre lieu. Il faut que vous fassiez la demande pour que votre propriété soit interdite à la chasse.

Vous vous trouvez actuellement dans l’un de ces 2 cas de figures :

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Cas n°1 : Votre département est soumis à la loi Verdeille

Vous habitez dans l’un de ces départements : 03, 05, 07, 09, 11, 15, 17, 23, 25, 26, 31, 33, 35, 38, 39, 40, 43, 54, 55, 56, 66, 70, 73, 74, 79, 82, 86, 87, 90. Ces départements sont soumis à la loi Verdeille qui instaure des ACCA (Associations Communales de Chasse Agréées). L’article L. 422-1 ne s’applique que dans un rayon de 150m autour d’une habitation.

Autrement dit, si votre terrain se situe dans l’un de ces départements et au-delà de 150m d’une habitation (la vôtre ou celle de quelqu’un d’autre), cela veut dire que les chasseurs peuvent venir chasser sur votre propriété privée.

Que faire? Vous pouvez demander le retrait de votre terrain du territoire de l’ACCA pour « opposition de conscience » ou « conviction personnelle ». Vous trouverez ici la procédure pour retirer votre terrain du territoire de votre ACCA.

Cas n°2 : votre département n’est PAS soumis à la loi Verdeille

Votre département ne se trouve PAS dans cette liste : 03, 05, 07, 09, 11, 15, 17, 23, 25, 26, 31, 33, 35, 38, 39, 40, 43, 54, 55, 56, 66, 70, 73, 74, 79, 82, 86, 87, 90. C’est alors l’article L422-1 du Code de l’Environnement qui s’applique (Je le répète, juste pour le plaisir : « Nul n’a la faculté de chasser sur la propriété d’autrui sans le consentement du propriétaire ou de ses ayants droit »). La chasse est interdite sur votre propriété privée ou sur celle de votre propriétaire (si celui-ci n’est pas chasseur).

SAUF que la jurisprudence considère qu’un propriétaire qui ne dit mot consent :

« La loi qui ne permet la chasse sur le terrain d’autrui qu’autant qu’elle a lieu avec le consentement du propriétaire n’exige pas que ce consentement soit exprès » arrêt Cass., ass.plén., 12 juin 1846 : DP 1846. 4 64.

« L’autorisation tacite de chasse découle de l’exercice de la chasse au vu et au su du propriétaire » Paris 12 janv. 1963 : JCP 1963. IV 4083.

Il vous faut donc, par prudence :

– Signifier expressément votre interdiction auprès de l’association ou de la société de chasse de votre commune (renseignez-vous auprès de votre Mairie).

– Apposer des panneaux « chasse interdite » sur le terrain.

Le mieux, quelle que soit votre situation est de faire reconnaître votre terrain comme « Refuge ASPAS » (Association pour la Protection des Animaux Sauvages) en suivant cette procédure, qui interdira très explicitement la chasse sur votre terrain.

On chasse quand-même chez vous si…

Notez bien que, même si vous avez fait interdire la chasse sur votre propriété, les chasseurs ont le droit de traverser votre terrain, fusils déchargés et chiens maîtrisés, pour se rendre sur leur zone de chasse. Ils ont également le droit de débarquer chez vous afin d’y achever un animal qu’ils ont blessé mortellement. C’est le fameux « droit de suite » qui suppose qu’un animal blessé mortellement par un chasseur appartient à ce dernier. Je ne vous souhaite pas que cela vous arrive en pleine séance ludique et pédagogique avec une quinzaine d’enfants autour…

Si vous tentez de faire obstruction à cet acte, ou à tout autre action de chasse, vous encourrez une amende de 1500€ de par l’article R428-12-1 du Code de l’environnement (2010) :

« Est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe le fait, par des actes d’obstruction concertés, d’empêcher le déroulement d’un ou plusieurs actes de chasse tels que définis à l’article L. 420-3. »

Ces « actes d’obstruction concerté » n’étant pas précisés, on ne sait pas si siffler pour signaler sa présence auprès d’une battue est répréhensible – ou pas… Mieux vaut donc vous taire, au risque d’y laisser vos plumes…

Droit de passage

Il faut distinguer le droit de chasse et le droit de passage : certaines zones sont interdites à la chasse (par exemple les chemins ouverts à la circulation publique) mais les chasseurs ont droit de passage sur les toutes zones interdites à la chasse – comme n’importe quel citoyen – pour rejoindre la zone de chasse :

« Cette interdiction [de chasser] au titre de la sécurité publique qui s’étend autour des bâtiments et constructions dépendant des aérodromes, stades et lieux de réunions publiques et des habitations particulières, n’interdit pas le droit de passage des chasseurs qui se rendent sur le fond voisin où ils disposent du droit de chasser » (ONCFS)

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Le droit de passage s’étend également à tous les terrains privés, y compris les terres avec bétail et cultivées : « les chasseurs peuvent passer dans des terres non dépouillées de leurs fruits (cultures de blé, maïs…), sous réserver de ne pas y commettre de dégradations » (idem).

La sécurité de votre école face à la chasse

Pour connaître les dates de chasse dans votre département, consultez l’arrêté d’ouverture générale affichée dans votre mairie.

Sortir en nature en période de chasse

Depuis 2003, la journée non-chasse de la semaine (le mercredi) a été supprimée (par Roselyne Bachelot !). Cela signifie qu’en France, il n’y a presque aucune journée sans chasse sur l’année. La période courant de septembre à mars concerne en effet seulement la chasse à tir et au vol (fauconnerie) et cette période bénéficie de nombreuses rallonges selon les espèces chassées. Par ailleurs, de nombreuses battues administratives peuvent être organisées toute l’année. Enfin, le braconnage ne connaît ni saison ni climat.

Il est en principe interdit de chasser la nuit, par temps de neige, dans les zones habitées, etc. Sauf qu’il existe, pour chacun de ces cas, des exceptions. Par ailleurs, la chasse est autorisée sur les plages et dans la plupart des réserves naturelles nationales (RNN).

Lors des grosses journées de l’ouverture de la chasse, si votre terrain côtoie des zones de chasse, sachant qu’une balle perdue possède une portée de 3 km maximum (pour les carabines), il vaut mieux vous abstenir de sortir avec les enfants. Je ressens un profond sentiment d’injustice en écrivant ces mots mais, comme l’écrit Marc Giraud : « Comportez-vous comme les lapins, ils savent ce qu’ils font : fuyez ou restez au terrier ».

Je recommande d’ailleurs l’ouvrage de Marc Giraud « Comment se promener dans les bois – sans se faire tirer dessus » (2014) ainsi que « Pas de fusil dans la nature » de Pierre Rigaux (2020).

Promenades en forêt: attention, chasse en cours!

Lorsque vous vous promenez sur des chemins communaux et que vous rencontrez un panneau « chasse en cours », sachez qu’il ne représente aucunement une obligation légale de rebrousser chemin. Evidemment, par mesure de sécurité, personne n’osera traverser.

Par ailleurs, lors de vos promenades en nature, attention aux pièges disposés ça et là, que vous soyez accompagnés d’enfants et/ou d’animaux domestiques. Il existe environ 250 000 pièges répartis sur le territoire, dont une grande partie tuant immédiatement, situés à partir de 200m des habitations. Les piégeurs ont l’obligation de déclarer les zones piégées en mairie et d’en signaler la proximité par le sigle PHE (piège homologué par l’environnement).

Donc ouvrez l’œil (et le bon), ouvrez grands vos oreilles et faites attention où vous mettez les pieds ! (On croirait presque un parcours sensoriel de type Shinrin Yoku, mais version La Mort aux Trousses).

En effet, vous l’avez compris, sur certains territoires français, la chasse est omniprésente et, même sur votre terrain, vous encourrez toujours un risque de prendre une balle perdue. Et ce, surtout entre septembre et mars, période qui couvre la quasi-totalité de l’année scolaire, LA période où justement les enseignants emmènent les enfants dehors !

La loi n’est pas pro-active : vous ne pouvez attaquer une société de chasse en justice avant d’avoir pris une balle car, nous l’avons vu, le permis de chasser est omnipotent (jusque sur les propriétés privées, par défaut !). Si vous n’avez pas les moyens d’acquérir une propriété de 10 hectares (et de rester au milieu au cas où vos voisins sont chasseurs !), la seule attitude est la prudence.

Dans cet état de fait, je ne peux que vous encourager à rejoindre et soutenir l’ASPAS pour amplifier les zones réellement interdites à la chasse.

En bref,

Prudence et Visibilité me semblent les deux maîtres-mots de la sortie nature en période de chasse. Même si vous avez fait reconnaître votre terrain comme refuge ASPAS, il vaut mieux faire attention aux balles perdues, qui, elles, ne connaissent pas les règlementations ni les clôtures!

Je terminerai donc par les conseils donnés par ANIMALAXY :

Portez des vêtements voyants

Faites du bruit

Repérez les panneaux

Restez sur les sentiers

Si vous êtes accompagné d’un chien, tenez le en laisse

Choisissez vos jours de randonnées (évitez le matin tôt ou la tombée de la nuit, ainsi que les jours de pluie, favoris des chasseurs).

Sur ces bonnes paroles, je m’en vais faire ma petite promenade en forêt, harnachée d’un gilet jaune et d’un sifflet 🙂

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4 Responses

  1. Article très instructif et bien utile étant donné l’actualité :  » Morgan Keane, ce jeune homme de 25 ans, tué le mercredi 3 décembre 2020, par un chasseur lors d’une battue dans le Lot. Il coupait du bois chez lui à 100 mètres de sa maison » Le chasseur a été mis en examen pour homicide involontaire :
    « Un homicide involontaire, c’est trois ans de prison. Assorti d’une violation des règles de prudence et de sécurité, c’est cinq ans. » nous dit l’avocat de la victime.
    Mais malgré cela il se peut que la peine soit dérisoire… comme dans le cas suivant :
    « Aveyron : 12 mois de prison avec sursis pour le chasseur qui avait tué une femme en tirant à travers sa haie
    Il avait tué une sexagénaire en octobre 2017 lors d’un accident de chasse. Cet homme de 50 ans vient d’être condamné (le 6 mai 2020) à une peine de 12 mois de prison avec sursis et une interdiction de chasser pendant 10 ans par le tribunal de Rodez. »
    l’Office national de la chasse a recensé en 2019/2020, 141 accidents et 11 décès (12 avec Morgan Keane).

    Sources France3 occitanie.

  2. Je suis sur le c… Incroyable qu’il y ait autant de complaisance et si peu de sécurité face à une démarche volontaire (sortir avec une arme pour tuer). Le lobby de la chasse est très puissant en France, ceci expliquant certainement cela. On envierait presque pour le coup de vivre en ville… C’est triste d’en arriver à une telle réflexion. Merci pour votre article

  3. La lecture de cet article m’a glacé le sang. Il y a beaucoup de non sens déplorables dans toutes ces règlementations. Si la portée des carabines peut aller à 3 km, pourquoi interdire sur un si petit rayon autour des habitations ? Aussi, pour rebondir sur le commentaire précédent, je ne saisis pas le sens de ces peines symboliques. Aucun effet dissuasif pour les prochains…
    Moi qui aime passer du temps dans les bois et forêts, avec les enfants, je prends note avec un gros pincement au coeur de cette recommandation de lecture sur la bonne attitude à adopter pour sa sécurité. Pour les écoles en forêt, l’insouciance de l’enfance en prend quand même un coup.
    En tout cas, merci pour le travail de recherche et le partage de ces infos très utiles.

  4. Promenons-nous dans les bois… de préférence quand les chasseurs n’y sont pas !
    Tu pointes du doigt deux des difficultés à connaître (a fortiori faire respecter) la loi en France : sa complexité et le nombre hallucinant d’exceptions aux principes théoriques ! Dans ces circonstances, difficile de faire autre chose que de se protéger, en particulier en s’assurant effectivement d’être le plus visible possible…

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