Faire le programme scolaire dehors ? Dans et grâce à la nature ? Utopie irréaliste ou possible révolution verte de l’éducation ? Je vous propose, pour vous faire une idée de réponse à cette vaste question, de faire un petit tour dehors, du côté de mon école en nature, située en forêt de Sologne. J’y pratique l’éducation par la nature de manière transversale et, inévitablement, j’y inclus des activités autour de contenus et de compétences dites « scolaires ». Et la bonne nouvelle, c’est que sortir de l’école nous fait en même temps sortir des sentiers battus pédagogiques. Tout en y gagnant de l’efficacité et du plaisir ! Voyons donc comment s’y prendre.

Faire le programme scolaire dehors : une méthode en 3 étapes

A mon avis, faire classe dehors pour les enseignants (ou bien, à l’inverse, pour les animateurs, parents ou éducateurs non enseignants, “s’amuser aux matières scolaires” durant les périodes non-scolaires) demande de parcourir 3 étapes. Et de faire des aller-retours entre elles. Il s’agira de :

– « Voir le potentiel » du lieu que vous occupez,

– Pré-visualiser les activités que vous pourriez y faire avec les enfants,

– Les raccrocher – si besoin – à un programme scolaire.

Connaître votre “dehors scolaire”

Il faut être très aguerri pour imaginer une séance complète sans connaître le lieu sur lequel vous allez amener les enfants. Même les animateurs nature confirmés visitent généralement les lieux au moins une fois avant d’y mener des activités.

Vous ne vous placerez jamais dans une situation inconfortable parce que :

– Soit vous aurez investi régulièrement un terrain spécifique et, progressivement, vous connaîtrez ce terrain donc vous saurez, aux sens propre et figuré du terme, « là où vous mettez les pieds »,

– Soit vous emmènerez votre petite troupe sur un lieu nouveau pour eux, et, dans ce cas, vous irez le voir avant.

Connaître le programme scolaire

Si vous êtes enseignant.e, ce programme scolaire, vous le connaissez bien. Le tout est de lier entre eux ce programme et les occasions offertes concrètement par le lieu où vous menez vos séances afin que des idées d’activités précises germent dans votre esprit. Et le mieux semble de les lier de manière à avoir une séance qui soit à la fois ludique, pédagogique, et pas trop demandeuse en termes de matériel. Mais nous y reviendrons ultérieurement. Pour le moment, focalisons-nous sur ce lien entre programme scolaire et potentiel de votre lieu.

Mettre ses lunettes à double foyer

Pour mieux illustrer comment on peut mener le programme scolaire dehors, je vous emmène avec moi faire un tour sur un chemin près de mon école-forêt. Auparavant, je n’avais jamais regardé ce sentier de manière à voir son potentiel pour des activités dites “scolaires” avec les enfants. C’était donc un nouveau “dehors pédagogique” pour moi. J’ai donc pris bien soin de mettre ce que j’appelle mes « lunettes double foyer » :

Mes « lunettes d’enfant » afin d’imaginer tout ce qui pouvait intéresser les enfants que j’accueillerais la semaine d’après,

– Mes « lunettes de pédagogue par la nature » afin de rapporter les éléments du paysage à des habiletés transversales que je souhaite voir développées par les enfants.

Donc la première chose que je vous invite à faire lorsque vous visitez un lieu nouveau ou mal connu, c’est d’ouvrir grand les yeux et d’observer tous les éléments présents dans le paysage. Et de répéter l’opération à chaque fois que vous avez un nouvel objectif pédagogique en vue.

Programme scolaire dehors : exemple pour le cycle 1

Nous voilà partis en repérage !
=> N’hésitez pas à visionner la vidéo sans le son si vous souhaitez avoir un aperçu des lieux en parallèle de votre lecture.

Explorer le monde

– La première chose qui m’a interpellée, ce sont évidemment les bâtons et les feuilles jonchant le sol, qui peuvent amener les enfants à construire les premiers outils pour structurer la pensée – comme c’est dit dans le programme de maternelle –, comprendre que les nombres permettent d’exprimer des quantités, ont un rang, un positionnement dans une liste, la connaissance de repères sur quelques formes de grandeur.

Donc là on va classer les bâtons du plus grand au plus petit, on va amener la reconnaissance des différentes formes de feuilles, leur classement par type de feuille. C’est juste une idée!

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=> Et vous ? Quelles sont vos idées d’apprentissage de la numératie dehors ?

– Puis en poursuivant mon exploration je m’arrête ici, et ce qui attire mon attention, c’est cet arbre qui est en train de littéralement manger le panneau «Chasse gardée»! C’est une idée pour démarrer une petite discussion au sujet de l’arbre comme être vivant pour les enfants, de faire exprimer et travailler le langage.

– Puis mon attention est attirée par l’espace d’eau, la flaque qui dans ce fossé nous permet de voir se refléter les arbres, donc l’idée ici s’enclenche chez moi de démarrer une activité autour du miroir. Je poursuis mon idée avec l’activité miroir quand je vois cette vue juste en face et je me dis que c’est une occasion pour l’enfant, cette activité miroir, de se repérer dans l’espace et d’apprendre également la collaboration avec le pair qui le guidera avec l’activité miroir.

Juste derrière, je regarde le grillage qui se situe tout le long du chemin, et je me dis que c’est l’occasion d’initier une discussion avec les enfants autour de la raison pour laquelle on a pu poser ce grillage, quel impact cela a sur la circulation des animaux, tout ça peut initier une discussion qui va permettre aux enfants de s’exprimer, de travailler le développement du langage à l’oral, et la compréhension du monde qui les entoure.

Motricité, arts plastique, expression orale…

– Puis un moment je fais silence, je lève les yeux, et j’entends très fortement le chant des oiseaux. Là, l’un des grands classiques est d’écouter les oiseaux et d’essayer de repérer qui chante à quel moment et pour dire quoi. Encore une occasion de faire explorer leur monde aux enfants, ainsi que le développement de l’expression orale.

– Puis c’est cet arbre qui attire mon attention par sa forme longiligne et haute, sa structure très forte et imposante qui peut donner lieu, soit à une activité sensorielle autour du toucher de l’arbre, de l’écorce, soit à une activité artistique de type dessin ou peinture. On peut installer les enfants autour de l’arbre; s’il ne fait pas trop froid, l’activité peut durer entre un quart d’heure et vingt minutes, et on va faire explorer les différentes couleurs, les aspects aux enfants, à travers les activités artistiques qui font encore partie du programme de maternelle –ces activités d’éveil artistique et sensoriel qui sont assez centrales dans la pédagogie par la nature.

– Je vois autour de moi cet arbre très courant dans ma région, qui est un houx, et sous ce houx il y a souvent des petits endroits où on est un petit peu camouflé, entouré de houx. Cela m’a donné l’idée d’observation d’animaux, il y en a quelques-uns, il n’y a pas que cet arbre-là, où les enfants peuvent se cacher à plusieurs, ils peuvent se tenir chaud comme ça! Sous l’arbre, un peu camouflés, s’ils font silence, c’est peut-être l’occasion de voir passer un lièvre, un renard ou même un sanglier. À travers les activités d’observation de la faune, l’imposition du silence, il y a toute une discipline qui s’instaure, on aiguise aussi le regard et l’intérêt des enfants pour le monde qui les entoure. On fait ensuite une petite séance de debrief où on va avec le langage nommer, qualifier les animaux qu’on aura peut-être eu la chance de voir passer. Ça apprend aussi aux enfants l’appréhension du temps long, la gestion du rythme de chacun, du rythme de la nature qui est long et pas toujours sur la même temporalité que nos vies un peu cadencées.

– Cet arbre majestueux et large est une occasion, soit avec les petits, de travailler autour de la texture de la mousse, de l’écorce encore une fois; et avec les plus grands, en fonction de l’âge et de la classe, on peut faire un travail autour de la circonférence, du diamètre, du rayon.

– Mon œil est également attiré par les noisetiers qui se situent sur la gauche et qui constituent d’excellents matériaux de construction, donc ça peut être l’occasion de sortir les outils et de commencer la construction d’une cabane, de travailler autour de la motricité, du maniement d’outils, selon les âges évidemment des enfants.

=> Cliquez ici pour consultez la rubrique Ressources et Activités 🙂

Numératie, construction, observation du vivant

– Cet arbre particulièrement riche a attiré mon attention pour tout ce qui est en lien avec l’exploration du vivant. Là, on a énormément de matières à explorer avec les enfants. On peut trouver l’occasion d‘exprimer différentes catégories d’appartenance, entre la mousse, les feuilles, le bois, de travailler autour du vivant, des insectes qui s’y cachent –donc là, une activité un peu plus liée à la découverte propre de l’environnement et du vivant.

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– Toujours dans l’exploration du vivant, on a cette variété de mousse qui m’a beaucoup interpellée, une variété de mousse qui amène non seulement à la collecte, au repérage, à l’identification de la part des enfants, et aussi, pourquoi pas, puisqu’on a déjà de l’eau et des brindilles qui peuvent nous servir de pinceaux, pourquoi pas une activité peinture mousse-eau, ou si on a pensé à apporter un petit peu de farine ou un matériau qui peut faire du liant… Mais tout simplement se poser pour une activité peinture.

– L’un des derniers éléments qui a attiré mon attention, c’est cet arbre tombé à terre, un tronc qui constitue une magnifique structure de motricité et de mise en équilibre des enfants. Là, on est vraiment dans l’activité physique qui permet aux enfants d’explorer leurs possibilités physiques, de développer leurs habilités motrices, leur équilibre, de mieux se situer dans l’espace, de peut-être travailler la gestion du risque et aussi, si on se munit d’appareils photo ou de caméras, d’appréhender l’image de leur propre corps en mouvement qui peut donner lieu ensuite à une expression langagière autour de leur vécu, de leur petite expérience de prise de risque.

On n’aura pas vu de traces d’animaux aujourd’hui, si ce n’est celle d’une voiture… mais qui sait, peut-être lors de notre vraie séance on pourrait apercevoir des traces d’animaux, donc je le garde en mémoire pour une prochaine fois …

5 règles d’or pour faire le programme scolaire dehors

En conclusion de ce petit tour, je retiendrai 5 démarches nécessaires pour réussir la mise en place du programme scolaire (quels que soient les âges des enfants ou leur cycle scolaire) :

– La première chose, c’est de regarder de tous ses yeux, d’observer très attentivement et d’être absolument présent.e pour pouvoir voir ces éléments : s’imprégner viscéralement du lieu, respirer ce qu’il transpire, écouter ses bruits, sentir ses odeurs… Bref, le sentir vivre !

– La deuxième étape sera de convoquer le programme dans votre tête comme vous le faites d’habitude. Partez de ce que vous connaissez bien et de ce que vous aimez réaliser avec les enfants, des activités qui vous demandent le moins de préparation et de matériel, des choses simples et faciles. Vous irez ensuite vers les choses plus complexes, si besoin.

– Troisièmement, vous allez visualiser le déroulé de votre séance, vous allez vous le représenter de manière aussi précise que possible, comme si elle se passait là, devant vous.

– Quatrièmement, vous allez penser le matériel pour mener à bien ces activités. Et vous allez penser ce matériel comme s’il s’agissait d’une sortie scolaire de proximité, ni plus ni moins compliquée…

– Cinquièmement, vous allez tout simplement oublier ce que vous avez pensé et prévu. Pas l’oublier totalement, mais vous allez, le jour J, réinvestir les lieux de manière plutôt vierge, pour laisser place à l’imprévu…

Pour exemple, dans le cas de la séance que j’ai envisagée avec vous ici, bien évidemment, la séance ne s’est pas du tout déroulée comme prévu. Je n’ai pas fait tout mon programme scolaire dehors. En effet, la glace avait gelé la semaine suivante, donc il a été impossible de mener l’activité miroir (enfin, pas celle qui était prévue !). Egalement, 3 enfants de CM2 se sont joints au groupe de maternelle que j’avais habituellement, il a fallu improviser un peu pour les occuper (je les ai envoyés ramasser du bois pour le feu de camp!). Le fossé s’était rempli de boue (l’eau claire avait disparue) donc nous avons construit un petit pont en bois… Tout cela a été l’occasion de discuter du caractère changeant de l’univers… Une petite discussion philosophique s’est imposée sur les sujets du changement d’état, sur la vie et la mort des choses… Quelle richesse !

Bref, l’imprévu –comme prévu –s’est invité! Sur la dizaine d’activités que j’avais plus ou moins planifiées dans la vidéo, nous en avons fait la moitié! Et alors? Tant mieux! Il en reste pour la fois suivante! Si vous n’arrivez pas à « boucler votre programme » durant la séance (mais y arrive-t-on jamais ?), vous vous apercevrez bien vite que vous avez mené bien d’autres démarches qui vous simplifieront les choses tout au long de l’année : les enfants seront sans doute bien « en avance » dans leur lecture critique et leur observation du vivant, entre autres « matières scolaires » 😉

Pour vous aider à réaliser votre programme scolaire dehors :

Le manuel de l’école du dehors (Eco-conseil)

L’école à ciel ouvert (Silviva)

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8 Responses

  1. Quel bel article plein de bonnes idées pour notre prochaine balade en forêt! Lorsque l’on prend le temps de regarder autour de nous, on peut en effet se rendre compte que la nature nous fournit presque tout ce dont nous avons besoin pour enseigner à nos enfants! Merci!

    • Exactement. Nous nous compliquons souvent bien trop la vie en créant des éléments compliqués pour l’apprentissage alors que les éléments de nature fournissent déjà de nombreuses opportunités de découverte du monde…

  2. Super article, j’adore l’analogie de mettre ses lunettes à double foyer ! C’est ce que j’essaie de faire au maximum avec mes enfants et avec les élèves que j’ai en atelier : détourner des situations, des objets, des activités pour leur faire apprendre des choses sans qu’ils s’en rendent compte, et en s’amusant c’est encore mieux !

    • Tout à fait ! L’idée est d’arriver à être dans une forme d’ambivalence : s’amuser autant que les enfants et avec eux, tout en gardant l’oeil de l’adulte quand à leur sécurité et la progression de chacun.e des enfants du groupe !

  3. Bonjour,
    J’encourage vivement cette initiative de faire l’école dehors, cela permet à nos enfants de renouer les liens avec la nature et concrétiser les enseignements donnés en classe. Mais autant c’est facile de le faire en école élémentaire, je pense que c’est plus compliqué au lycée ou en fin de collège, les élèves se braquent plus facilement, je pense aussi que ça dépend de la matière…
    c’est très intéressant comme démarche en tout cas. merci pour cet article bien expliqué.

    • Merci beaucoup pour votre feedback, cela donne du sens à la démarche, surtout venant d’une personne du métier 🙂
      En effet, nous rencontrons davantage d’obstacles dans la mise en place de la classe dehors pour les élèves plus âgés mais comme le mouvement n’en est qu’à ses débuts, j’ai bon espoir que l’on avance rapidement dans des pédagogies et activités adaptées au contexte collège-lycée.

  4. Waouh ! Merci pour cet article puissant.
    C’est tellement important le contact avec la nature pour les enfants (pour les adultes aussi), de les sensibiliser au milieu naturel.
    Quand je lis ton article, je me rends à quel point je ne connais pas grand chose.
    Encore bravo !

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