Critique. Dis-moi qui tu critiques, je te dirai qui tu es!
On n’attrape pas des mouches avec la critique
Le jeune Abraham Lincoln avait, à ses débuts de vie comme jeune adulte, une forte tendance à critiquer ses contemporains. Comme vous, sans doute, comme moi, sûrement, il avait le reproche facile, au quotidien, dès lors qu’autrui lui semblait parti dans le mauvais chemin. Fais pas ci, fais pas ça, fais plutôt ceci, et pas cela… Lui ne le disait pas comme ça, évidemment, mais préférait rédiger des pamphlets (on les appellerai aujourd’hui des posts ou des twits!) qui n’étaient pas tendre avec les faiblesses de ses concitoyens. La vie allait bon train pour Abraham, et la critique semblait bonne conseillère, comme elle le semble toujours être sur notre bonne vieille planète.
Sauf qu’un jour…
Le risque de la critique
Un jour que Lincoln n’oublia jamais, son goût pour la critique lui valut une mésaventure qui l’amena presqu’à la mort! Rien que cela. Voyez plutôt : l’un de ses interlocuteurs, qu’il avait ridiculisé publiquement – un certain James Shields – un brin bagarreur, le provoqua en duel. Lincoln, peu sportif, se prépara à se défendre tant bien que mal à l’épée durant plusieurs semaines. Le jour du duel approche, et le jeune Abraham, angoissé, ressasse ses remords d’avoir tant critiqué pour si peu… Le jour J arrive et, à quelques minutes du début de duel, les témoins réussissent à persuader le fougueux James d’étriper Lincoln. Il était moins une!
Abraham Lincoln n’oublia jamais cette leçon de vie : plus jamais il ne critiqua ses semblables! Retrouvons Lincoln, bien des années plus tard, en 1863, en pleine la guerre de Sécession. Les généraux de l’armée nordiste commettent tour à tour d’énormes erreurs militaires qui désespèrent le Président. Pourtant, sa formule reste “Ne juge point si tu ne veux point être jugé!”. Un jour, il rédigea une lettre de reproche à un général qui avait raté la capture du général Lee, chef de l’armée sudiste. Comment donc réagit ce général? Et bien, il ne réagit point car il ne la reçu jamais. On retrouva la lettre, intacte, dans les affaires de Lincoln, peu après sa mort.
La leçon faite au jeune Abraham avait porté ses fruits. Sa tolérance vis-à-vis de ses semblables l’a prédisposé à diriger sainement et efficacement son pays. Il avait appris, à ses dépends, qu’on n’attrape pas des mouches avec du vinaigre.
La leçon de Lincoln aux pédagogues
Alors, quelle leçon pédagogique tirer de cet exemple? Et bien : “Be like Lincoln”! (le sage Lincoln, pas le jeune critique, hein!). Le message de sa vie est clair : la critique amène la critique, l’animosité, la rancœur ou la peine. Elle est un couperet qui s’abat sur nos relations familiales, amicales, professionnelles et sociales.
Il ne s’agit pas pour autant de s’abstenir d’exprimer ses opinions, quelles soient politiques, sociales, etc. Il ne s’agit pas d’enfouir son esprit critique. En effet, ce sont deux choses différentes : la faculté de jugement est nécessaire à la survie de l’espèce. A l’inverse, la propension à critiquer autrui à tout bout de champs risque de nuire à votre survie (surtout si vous tombez sur quelqu’un comme James Shields!). L’esprit critique, c’est de montrer une acuité dans votre lecture du monde qui vous entoure. Gardez-le, soignez-le et faites-le évoluer. La critique, quand elle est fréquente et qu’elle s’adresse à beaucoup de monde, n’est souvent qu’expression d’un mal-être et de manque de confiance en soi.
Ne pas critiquer, c’est ne pas agresser ou ridiculiser la personne que l’on considère, pour une raison ou pour une autre, comme un adversaire, une gêne, un obstacle, etc. Se passer de critique est d’autant plus vital avec les enfants. Les pédagogies en nature ainsi sont les premières à enseigner la communication non violente et l’absence de critique. Le “non”, “c’est mal fait”, “c’est nul”, “c’est pas beau”, “tu ne fais pas comme il faut”, “tu ne fais pas comme tu devrais”, et autres formules du même type sont totalement improductives. Même si le résultat de la production de son élève ou de son enfant diffère magistralement de ce que l’on attend, le critiquer en tant que personne (“tu es nul en maths!”) ou dans ses capacités (“tu as deux mains gauches!”) ne laissera que des traces négatives, voire destructrices, chez l’individu en construction.
Lincoln préférait voir le verre à moitié plein qu’à moitié vide. Même quand ses généraux faisaient l’exact contraire de ce qu’il leur avait commandé, il se mettait à leur place. Il se disait “Aurais-je fait mieux qu’eux, dans la même situation, au vu de l’état dans lequel ils sont après telle ou telle bataille?” Il est très difficile, au quotidien, de se mettre radicalement à la place d’un enfant qui nous surprend par une réaction opposée à ce qui nous semble “bien”. C’est normal, nous ne sommes pas lui ; et il n’est pas nous.
Mais n’oublions pas : chacun voit midi à sa porte, y compris et surtout les enfants! Et aller constamment réprimander le voisin sur son pas de porte n’apportera rien de bon. En effet, personne n’apprend par la critique, personne, jamais. Car elle bloque la progression affective. En effet, elle se situe uniquement sur l’aspect normatif (il ne faut pas) et non sur la dimension émotionnelle de l’individu (j’ai envie). Elle stresse un enfant et l’empêche d’avancer. Complimenter, puis montrer à l’enfant un exemple ou un modèle de ce qui est attendu fonctionnera mieux! Et d’autant mieux que l’enfant se sent valorisé par ce qu’il a déjà fait. Il aura donc à cœur de continuer en s’appropriant les éléments manquants à sa première production.
Alors, la prochaine fois qu’un enfant m’amènera des cailloux à la place des pommes de pins attendues,
la prochaine fois qu’il peindra en vert son morceau de bois alors que c’est le bleu qu’on a demandé,
la prochaine fois qu’il placera toutes les lettres dans le “mauvais” sens ou additionnera au lieu de multiplier,
que ferais-je?
Je ferai sans doute comme le président Theodore Roosevelt. Lorsqu’il se trouvait en position de critiquer vertement tel ou tel, il levait les yeux vers le tableau d’Abraham Lincoln suspendu à son mur et se disait : “Que ferait-il à ma place?”.
Et vous, que ferait Lincoln à votre place?
Enverriez-vous aux parents de cet élève, à son professeur, à vos collègues, à un ami, à vos élèves ou étudiants la lettre, le mail, le post, le twit agressif ?
Que feriez-vous? Quels outils mettez-vous déjà ou aimeriez-vous mettre en place face à vos envies de critique?
Wow, joli travail de documentation ! Comme quoi c’est dans l’adversité que l’on apprend le mieux. Mais je suis d’accord pour ne pas utiliser ce système comme prétexte pour durcir l’éducation de nos enfants ! Bonne continuation 🙂
Oui, Lincoln a retenu la leçon, mais il est, en effet, tellement meilleur que l’enfant ne souffre pas de critiques qui l’empêche de développer sa confiance en lui-même et en les autres!